FemmeS pour la Démocratie – 7 septembre 2014
Il semble que les Etats unis et l’occident se préparent à faire face à Daech (Etat Islamique – EI) en Syrie, même s’il est fort probable que ces actions n’iront pas plus loin que des frappes aériennes, et peut-être quelques opérations de commandos. L’objectif probable des frappes serait de mettre cette organisation terroriste naissante sous pression et de l’occuper à rassembler ses forces suite à ces possibles frappes, pour l’empêcher de progresser.
De son côté le régime syrien s’est dépêché d’offrir ses services dans le cadre de cette action militaire occidentale probable. Tandis que l’occident continue à mépriser Assad, il n’est pas exclu qu’il ait recours à ses services pour avoir une base militaire avancée contre Daech (EI), et par conséquent qu’il facilite la prolongation de sa mainmise sur le peuple Syrien.
Il est certain que ces frappes seront sans effet si elles se veulent punitives seulement. Il est clair que le recours à la force est nécessaire pour faire face à cette puissance fasciste qui utilise le terrorisme comme tactique de combat, comme outil psychologique et comme méthode pour gouverner. Faire face à cette entité terroriste par la violence n’est pas seulement légitime suite aux crimes qu’elle a perpétrés, mais aussi parce qu’il est impossible de se débarrasser de cette force d’occupation sans utiliser la force. Le problème d’une intervention occidentale probable contre Daech n’est pas seulement qu’elle comprend uniquement une dimension militaire, mais aussi que cette intervention militaire resterait très probablement limitée aux frappes et ne servirait qu’à gérer la crise à la place de lui trouver une solution réelle. Une telle méthode de gestion de crise enlève à notre combat toute dimension de justice et de libération des peuples, et l’assimile à une bagarre entre gamins, dont on veut ignorer la cause profonde, avec pour seul but de calmer le jeu et rétablir la stabilité de la région.
Il n’y a pas pire que cette méthode, ni plus égoïste et irresponsable. Ce genre de gestion est en partie responsable de la destruction de la Syrie et de la naissance de créatures immondes comme Daech. Peut-être que les Américains pensent que de telles créatures ont leur place naturelle dans le marais du Moyen-Orient. Et ils ont peut-être raison. Mais ce marais est le produit de leurs efforts et de ceux de l’occident au fil de plusieurs générations, tout comme il est le produit de la présence d’une autre entité d’occupation terroriste, Israël, comme maître de la région. Ce marais n’est pas vraiment le produit des « gamins » syriens, irakiens, libanais, etc. Un autre facteur important dans l’apparition d’un tel marais, est le recours perpétuel à des régimes terroristes, comme celui d’Assad et de ses semblables pour garantir la stabilité de la région, au détriment de toute justice et au mépris de toute dignité humaine.
C’est pourquoi une intervention militaire américaine et occidentale, même si elle a pour but d’en finir avec Daech et non pas de l’affaiblir seulement, ne présente qu’une seule des trois dimensions nécessaires pour être réellement efficace.
La deuxième dimension consiste à faire face à l’origine du terrorisme dans la région, à savoir le régime syrien, ou bien d’aider les Syriens à y mettre un terme. Punir Daech seulement, alors que le régime syrien a déjà commis pire que Daech, et laisser ce régime criminel dans l’impunité donnerait le pire des messages aux Syriens et aux peuples du Moyen-Orient plus généralement. Sans oublier que de s’attaquer à Daech seul rendrait un grand service à ce dernier et l’aiderait sans doute à justifier et renforcer son action. (En ternissant l’image de la révolution aux yeux de l’Occident, note du traducteur), les groupes islamistes en Syrie et Daech en particulier, auront finalement servi à faire perdre aux Syriens leur confiance dans la communauté internationale et dans la justice mondiale. Basé sur cette perte de confiance, Daech s’apprête à détruire complètement l’image du reste du monde dans notre environnement social et psychologique.
Il est bien possible qu’une frappe de Daech à al-Raqa, ville qui a déjà été bombardée par Assad, en prenant soin d’éviter les positions de Daech, et bombardée à nouveau récemment sous prétexte de frapper Daech, ait comme conséquence de rapprocher les habitants de al-Raqa de cette organisation à la place de les en éloigner. Les frappes occidentales doivent viser les deux criminels à la fois, Daech et le régime syrien, et ne doivent en aucun cas frapper l’un et laisser l’autre. La décapitation de James Foley, qui est un crime odieux, n’est pas comparable à la mort sous la torture des 11’000 détenus jusqu’en août 2013, pas comparable non plus au massacre aux armes chimiques dans al-Ghouta en août 2013 et aux massacres de Darayya, Jdaydeh Artouz, Banias, al-Houla, al-Treimsseh et tous les autres massacres imputables au régime syrien. Les crimes ne sont pas comparables, mais en sanctionnant un criminel tout en laissant l’autre impuni on détruit la notion même du crime et avec elle celle de la justice et de la sanction juste. Une telle gestion irresponsable pourrait ouvrir la porte au terrorisme et on pourrait même voir naître des créatures pires encore que Daech.
Il y a une troisième dimension pour faire face à Daech, où les occidentaux ne peuvent ni intervenir ni aider, et il est même préférable qu’ils ne tentent pas de s’en mêler. Daech n’est pas seulement une organisation criminelle, n’est pas seulement le produit de certaines politiques criminelles locales et internationales, Daech a aussi un lien à l’Islam. Les islamistes et les musulmans qui disent que Daech est un produit des services secrets et que l’Islam n’a rien à avoir avec lui se trompent eux-mêmes. Daech est une évolution d’al-Qaïda dans le contexte Syrien et Irakien qui est bien connu, al-Qaïda elle même étant une organisation d’origine saoudienne et égyptienne. Il n’est pas sérieux de nier l’influence religieuse dans la naissance de Daech, même s’il s’agit là d’un phénomène contemporain. Ce monstre est notre produit, il est né de la décomposition de notre politique, de notre pensée et de notre morale.
Il est clair que cette troisième dimension pour faire face à Daech ne peut être affrontée que par les musulmans eux-mêmes et les sunnites plus spécialement. Daech est une pensée islamiste qui ne peut être contrée que par la pensée. On doit se demander où se trouve la pensée islamique qui peut faire face à Daech fermement ? Lorsque les islamistes critiquent Daech pour sa conduite cruelle et sa précipitation et son refus d’acheminer les changements graduellement, ils ne le critiquent pas pour son projet de vouloir imposer un pouvoir islamiste par la force. Ceci n’est pas sérieux, tout comme la différence faite par les américains entre les crimes de Daech et ceux du régime n’est pas sérieuse. Il est nécessaire de dépasser la situation actuelle en amenant une réforme de l’Islam qui en augmente la dimension de la croyance et de la justice et en diminue la dimension du pouvoir et du droit islamiste. C’est une opération à long terme mais nécessaire pour faire face aux entités comme Daech.
En résumé, Daech est un problème sécuritaire, et plus que ça un problème politique et encore plus que ça un problème de la pensée. Faire face à Daech efficacement doit avoir à la fois une composante d’opposition militaire, et c’est exactement ce que les syriens opposants au régime ont fait les premiers et avant quiconque, une composante politique qui fait un pas vers la justice en Syrie en mettant un terme au régime syrien criminel, et une composante liée à la pensée musulmane qui arracherait l’Islam des mains de Daech et le Daechisme de l’Islam.
01.09.2014, Yassin al-Haj Saleh, écrivain syrien