Le Journal du Dimanche – 15 mai 2016

 

“J’avais 10 ans quand Hafez el-Assad est arrivé au pouvoir, 20 quand il m’a jeté en prison et 35 quand j’en suis sorti. On peut dire que je connais le système de l’intérieur.” Ne comptez pas sur ­Yassin Al-Haj Saleh, grande figure de l’opposition syrienne, pour verser dans le sentimentalisme. L’homme de 55 ans, qui a passé une année entière dans les geôles de Palmyre, refuse que l’émotion se substitue à l’explication. Son dernier livre, La Question syrienne, l’illustre parfaitement sa volonté de voir triompher les idées.

“Mon livre est un acte de résistance basé sur la lutte des idées, du savoir, et non sur la compassion. Il y a beaucoup d’écrits sur la Syrie où l’émotion domine. J’ai essayé de m’en éloigner parce que je trouve le message plus fort ainsi. Je veux que les gens réfléchissent sur ce que signifie un régime qui emprisonne, torture et tue.” Continuer à penser en dépit des bombes, des armes chimiques ou des groupes djihadistes. La Question syrienne est un opus de grande portée intellectuelle, entamé dès le début du soulèvement, en 2011.

Dans la clandestinité de Damas

Huit longs textes à partir de plus de 300 articles rédigés par l’auteur dès le début du soulèvement. À cette époque, Yassin Al-Haj Saleh s’emploie dans la clandestinité de la banlieue de Damas à comprendre les événements du point de vue de cette rue qui se soulève. “J’ai essayé de conceptualiser cette expérience du mouvement social et ne pas me contenter d’une réflexion rapide.” À ce moment, il croit encore à la chute imminente d’Assad. “Il m’arrivait de dire qu’il fallait neuf mois pour voir la Syrie accoucher d’un beau bébé, mais, une fois ce délai passé, j’ai commencé à m’inquiéter pour la santé de la mère et de l’enfant.” Ce sera alors la fuite vers Raqqa, sa ville de naissance, puis en Turquie, où il vit – survit – depuis 2013.

Garder la raison

L’auteur considère que son rôle est de tenter d’expliquer, d’analyser. Et de comprendre pourquoi “la révolution syrienne est devenue LA question par son extrême complexité, sa longue durée et son internationalisation du fait de l’implication de forces étrangères”. Pourquoi aussi “le nihilisme guerrier” s’est développé sur tout le territoire. “Il y a la violence du régime Assad, l’absence de soutien extérieur et l’échec de l’opposition syrienne à présenter une vision collective et un projet consistant.”

Pourquoi, enfin, après quelques hésitations, le concept de République a fait sa réapparition. “Le principe républicain remet le politique, la souveraineté, l’autorité et la législation aux mains de la majorité des gens ordinaires” qui ne détient pas le “savoir”. “La république permet notamment de récuser radicalement les courants islamistes fascistes et la théorie de l’islam politique en général”. Yassin Al-Haj Saleh n’a qu’un moteur, la raison, lui qui aurait pu la perdre. Sa femme, Samira Al-Khalil, son double intellectuel, a disparu dans la banlieue de Damas fin 2013. Quant à son frère, il est détenu par Daech à Raqqa depuis trois ans.